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Multiples croyances

Croire en la vie
après la mort
L’être humain est incapable de concevoir ce que représente
l’absence de conscience. C’est une des raisons pour
lesquelles il imagine souvent une « vie après la mort ».
Jesse Bering

Jesse Bering,

professeur de
psychologie, a dirigé
l’Institut de la cognition
et de la culture à la
Queen’s University
de Belfast, en Irlande.
Il contribue à divers
magazines scientifiques.

48

Croyances © Cerveau & Psycho

A

u milieu des années 2000, par un
été torride, je gisais dans une
chambre suffocante d’un hôpital,
suite à une infection grippale
particulièrement forte. Rien n’était
susceptible d’éveiller mon intérêt. J’ai alors
prêté attention aux lamentations du vieil
homme qui partageait ma chambre, un vétéran
de la Seconde Guerre mondiale, souffrant
d’une hanche gangrenée, et, ai-je fini par comprendre, d’une crise théologique encore plus
douloureuse. Il craignait que sa vieille épouse
ne rende l’âme alors qu’il n’était pas là et, pour
aggraver les choses, il soupçonnait son fils
d’avoir l’intention de se débarrasser de lui en
le mettant dans une maison de retraite après
la mort de sa femme. « Je ne comprends pas
pourquoi Dieu fait cela », protestait-il faiblement. « Nous avons toujours été bons, ma
femme et moi. Qu’avons-nous fait pour mériter
cela ? » C’est étrange, pensais-je. Je m’étais
posé la même question quelques jours avant,
alors que je pensais que j’allais mourir et que,
dans une supplique fiévreuse, j’avais demandé
à Dieu d’arrêter ma souffrance. Je ne suis
pourtant pas porté sur la religion. Quel était
donc ce lien entre Dieu et la souffrance ?

© tsaplia/Shutterstock.com

Croire en un dieu
ou au paradis
J’ai alors réalisé que j’étais tout aussi incapable
d’envisager qu’il n’y ait pas de vie après la mort
que de m’empêcher de penser à Dieu dans des
situations de détresse. Je suis matérialiste – c’està-dire que je pense que la conscience cesse avec
la mort – et pourtant… Il semble que 95 pour
cent de la population pensent qu’il y aurait une
vie après la mort ! Même les personnes acceptant l’idée que l’esprit est produit par le cerveau
et qu’il meurt tout comme lui avec le dernier
souffle affirment souvent que la question de

l’au-delà reste un mystère, et qu’on ne peut
savoir ce qui nous arrive après la mort.
D’un point de vue purement naturaliste
– nous serions des animaux comme les autres –,
de telles croyances religieuses sont étranges.
Peu nombreux sont ceux qui qualifieraient
leurs croyances en Dieu ou au paradis de « surnaturelles », alors que précisément elles le sont.
Qu’y a-t-il donc, dans l’esprit humain, qui
conduit tant de personnes à s’accrocher à une
croyance inébranlable en un être invisible et
tout-puissant ou en une vie après la mort ?
Et cela est vrai pour toutes les cultures : l’être
humain croit presque toujours à une forme
ou à une autre de vie après la mort. À tout le
moins, il n’est pas certain de ce qui arrive à
l’esprit après le trépas. Je parlerai ici de mon
activité de recherche en psychologie : elle m’a
conduit à penser que ces croyances irrationnelles sont un inévitable produit dérivé de la
conscience que nous avons de nous-mêmes,
plutôt qu’un effet de la religion ou un moyen
de nous protéger contre la terreur du néant.
Le fait est que nous sommes baignés en
permanence dans le flux de notre conscience.
Nous n’avons jamais fait l’expérience de son
absence. Je crois que c’est pour cette raison
que nous sommes incapables d’imaginer à
quoi ressemblerait cette absence. Et c’est pour
cela que nous ne pouvons tout simplement
pas imaginer une absence de conscience.
En général, on explique la croyance en une
vie après la mort par un besoin de se protéger
de la peur du néant. Ces explications sont
issues de toute une branche de la recherche
en psychologie, nommée théorie de gestion
de la peur ; selon cette théorie, les croyances
en une vie après la mort, tout comme d’autres
croyances, comportements ou attitudes, sont
des constructions de l’esprit visant à éviter
que nous soyons confrontés à la perspective
désespérante pour la vie de tous les jours de
notre propre inexistence.

En bref
••La plupart des êtres humains

croient en un être invisible
et tout-puissant ou en une vie après
la mort. Est-ce pour se protéger
de la peur de la mort ?

••Non. Selon l’auteur, nous

serions incapables d’imaginer
à quoi ressemblerait l’absence
de conscience, d’envisager
sa non-existence.

••La culture amplifie ou atténue cette
tendance à croire en la continuité
de la conscience : un enseignement
religieux favorise le développement
de croyances surnaturelles.

© L’Essentiel n° 20 / novembre 2014 - janvier 201549

Que disent les chantres de cette théorie ?
Que notre psyché dispose d’un arsenal secret
de défenses psychologiques conçues pour
maintenir à distance notre angoisse de la
mort, et notamment pour nous empêcher de
rester prostrés dans une posture nihiliste,
sans espoir d’échapper à notre destin tragique.
Il est bien évident que celui qui nie la mort
définitive dispose d’un avantage évolutif par
rapport à celui qui en est convaincu, lequel
peut avoir plus de difficultés à investir son
énergie dans des projets forcément voués à
l’échec à moyen terme. Ce simple argument
expliquerait pourquoi des structures neuronales de déni de la mort ont été efficacement
sélectionnées par l’évolution.

L’illusion d’avoir
un esprit immortel
Dans le même ordre d’idées, le fait que j’écrive
cet article pourrait être interprété comme un
exercice « d’immortalité symbolique » ; les
théoriciens de la gestion de la peur vous diraient
volontiers que je l’ai rédigé pour la postérité,
pour permettre à un ensemble concret de mes
idées éphémères de me survivre, moi en tant
qu’organisme biologique. Je vous répondrais
que je serais déjà satisfait s’il avait encore ne
fût-ce qu’un faible écho dans un an.
Cependant, quelques chercheurs, dont je
fais partie, pensent de plus en plus que l’évolution de la conscience de soi a posé un problème totalement différent. Nous pensons que
nos ancêtres souffraient de l’illusion tenace
que leurs esprits étaient immortels, et que nous
avons indéniablement hérité de cet élan d’irrationalité. En fait, et c’est le point de vue que
j’expliciterai ici, les êtres humains, en vertu de
leur architecture cognitive évoluée, ont depuis
très longtemps eu des difficultés à conceptualiser leur propre inexistence psychologique.
Le problème se pose même pour les personnes qui affirment ne pas croire en une vie
après la mort. En tant que philosophe et fondateur du Centre pour le naturalisme, Thomas
Clark écrivait en 1994 : « Lorsque nous mourons, ce qui suit est l’absence de tout ; la mort
est un abysse, un trou noir, la fin de l’expérience ; c’est un néant éternel, l’extinction
permanente de l’être. Et voilà en essence l’erreur
de cette conception : c’est de réifier le néant
– en faire une situation positive ou une qualité
(par exemple, la « noirceur ») – et ensuite d’y

50

placer l’individu après la mort, de sorte que
d’une certaine façon nous tombons dans le
néant, pour y rester éternellement. »
Pour progresser encore dans notre réflexion,
considérons un fait étrange : nous ne saurons
jamais si nous sommes morts. D’autres le sauront, pas nous. Il se peut que nous nous sentions
partir, mais il pourrait toujours y avoir un retour,
par exemple quand un cœur recommence à
battre après un massage cardiaque. La vraie
mort, nous ne pourrons jamais la constater, car
alors notre cortex cérébral, nécessaire pour
avoir une connaissance quelle qu’elle soit, y
compris le fait d’être mort, ne sera plus en
mesure de produire la moindre impulsion électrique et la moindre perception, encore moins
une pensée ou une observation. En 2007, le
philosophe de l’Université de l’Arizona Shaun
Nichols formulait les choses de la façon suivante :
« Lorsque j’essaie d’imaginer ma propre nonexistence, je dois imaginer que je perçois ou
que j’ai connaissance de ma non-existence. »
Mais si je n’existe pas, je ne puis rien percevoir. Une telle observation paraît évidente, mais

De l’anodin au surnaturel

L comme des êtres pensants, ayant des intentions ; ce serait un
’homme est naturellement disposé à considérer les autres

élément clef de la croyance en des esprits surnaturels. Pour le
montrer, nous avons imaginé une expérience. Nous avons raconté
à des enfants qu’Alice était une gentille princesse capable de se
rendre invisible. Nous avions équipé un tableau d’un dispositif
aimanté afin qu’il puisse tomber de façon « inopinée » (que nous
contrôlions) pendant l’expérience. Nous avons expliqué aux enfants
que Princesse Alice les aiderait dans un jeu consistant à deviner
dans quelle boîte nous avions caché une balle. Les enfants les
plus âgés, qui avaient sept ans, ont commencé à indiquer une
boîte et, face à l’événement inattendu (le tableau qui tombait),
ils ont modifié leur choix. Ils ont interprété la chute du tableau
comme un message de la princesse, car ils étaient capables de
comprendre qu’« Alice sait que je ne sais pas où est la balle ».
Les enfants âgés de cinq ans pensèrent également que c’était
Princesse Alice qui faisait tomber le tableau, mais n’y virent pas
une façon pour elle de leur communiquer un indice et ne changèrent pas la boîte qu’ils avaient désignée. En revanche, les
enfants âgés de trois ans haussèrent simplement les épaules ou
donnèrent des explications aux événements, par exemple que
le tableau ne collait pas assez pour rester en place. Ils n’étaient
pas capables d’attribuer des pensées ou des intentions à un
agent surnaturel.

Croyances © Cerveau & Psycho

© Touchstone Pictures/Sunset Boulevard/Corbis

Mort

je parie que vous n’avez jamais vraiment réfléchi
au fait que votre propre mortalité n’est pas
vérifiable en adoptant la perspective de la première personne. Ce problème est la raison pour
laquelle on attribue à Johann Wolfgang von
Goethe l’observation que « chacun porte en
soi la preuve de sa propre immortalité. »
Or, même lorsque nous voulons croire que
notre esprit disparaît après la mort, il est extrêmement difficile de penser en suivant cette
logique. En 2002, j’ai révélé l’illusion de l’immortalité à l’œuvre dans les esprits d’étudiants
de premier cycle à qui était posée une série de
questions sur les facultés psychologiques d’un
homme mort. J’avais raconté aux étudiants
qu’un individu nommé Richard était mort sur
le coup lorsque sa voiture s’était encastrée dans
un pylône électrique. J’ai proposé aux participants de lire un texte expliquant l’état d’esprit
où se trouvait Richard juste avant l’accident,
puis je leur ai demandé si cet homme, qui
maintenant était mort, avait conservé la faculté
d’avoir des états mentaux. « Pense-t-il encore
à sa femme ? » « Peut-il encore ressentir le goût
de la menthe du bonbon qu’il a mangé juste
avant de mourir ? » « Désire-t-il être vivant ? »
Vous pouvez imaginer les regards que les
étudiants m’ont jetés. Apparemment, rares
sont les gens qui prennent le temps de se demander si une âme a des papilles gustatives, des

désirs ou mal à la tête. Et pourtant, la plupart
des participants ont donné des réponses témoignant d’un raisonnement de « continuité psychologique », en ce sens qu’ils imaginaient
l’esprit de Richard continuant de fonctionner
en dépit de sa mort. Ce résultat n’était pas une
surprise compte tenu du fait que la plupart des
participants se classaient comme des personnes
croyant à la vie après la mort ou en Dieu.

Je n’y crois pas…
mais j’y crois
Toutefois, je notai un aspect plus surprenant
de cette étude… Nombre de participants avaient
précisé auparavant qu’ils avaient des croyances
« extinctivistes », c’est-à-dire qu’ils avaient
coché la case affirmant : « Ce que nous considérons comme l’âme, ou la personnalité
consciente d’une personne, s’éteint de façon
permanente lorsque le corps meurt. » Or ces
participants donnaient aussi occasionnellement
des réponses de continuité psychologique. Plus
précisément, 32 pour cent d’entre eux donnaient des réponses qui trahissaient le fait que,
malgré leur discours, ils pensaient que des
émotions et des désirs persistent après la mort ;
36 pour cent de leurs réponses suggéraient
qu’ils raisonnaient de la même façon pour les

Jack, épouvantail
squelettique, habite
la ville d’Halloween
dans L’Étrange Noël
de Monsieur Jack,
film des studios
Disney (1993).
La fête d’Halloween,
célébrée la veille
de la Toussaint,
reflète notre
tendance innée
à croire que l’esprit
vit après la mort,
dans un monde
bienveillant…

© L’Essentiel n° 20 / novembre 2014 - janvier 201551

La croyance au surnaturel présente-t-elle un avantage évolutif ?

A les comportements égoïstes, tels que la violence
près l’apparition des premières sociétés et du langage,

ou la tromperie, ont été « inventés ». Ils ont été suivis
de représailles, par exemple le rejet par la société. Une
telle punition aurait eu des conséquences : les individus étiquetés comme mauvais coopérateurs auraient
été considérés comme de mauvais partenaires pour
la reproduction. En conséquence, rester dans le droit
chemin serait devenu un avantage génétique adaptatif.
Mais peut-être l’homme a-t-il des difficultés à se plier
à des règles sociales et certains individus adeptes du
« pas vu, pas pris » continueraient à tricher. Sauf s’ils
pensent qu’ils sont constamment observés par quelque
être invisible. Il me semble que l’idée d’être sans cesse
sous la surveillance de puissances surnaturelles aurait
permis d’éviter un certain nombre de comportements
antisociaux. Quel lien avec Dieu ? S’il y avait un avantage
évolutif à ce que les hommes croient que des divinités

omnipotentes les puniront s’ils agissent mal, ils se comporteraient toujours bien. Inversement, peut-être chacun
pense-t-il que s’il se comporte bien, les êtres surnaturels
l’épargneront. En d’autres termes, ils pensent qu’un
« contrat social » les lie aux divinités. Cette croyance
est tellement enracinée que lorsqu’un malheur survient,
il est le signe, dans certaines cultures, que quelqu’un a
commis une faute.
Si les êtres humains ont évolué pour croire qu’ils sont
surveillés par les morts, il ne serait pas surprenant qu’ils
recherchent des messages en provenance de ces « observateurs », visant à leur rappeler qu’ils sont effectivement
sous surveillance. Et il semble que, pour beaucoup,
l’environnement est plein de signes de l’au-delà, croyance
qu’éclaire aussi la psychologie cognitive. Comprendre les
« messages » d’agents invisibles, et donc croire en des
puissances surnaturelles, seraient directement liés à la façon
dont nous comprenons la pensée et les intentions d’autrui.

états mentaux liés à la connaissance (le fait de
se souvenir, de croire ou de savoir). Un participant pensait que toutes les questions étaient
stupides et semblait me considérer comme un
idiot, du simple fait que je les posais. Et pourtant, lui aussi avait répondu que bien évidemment Richard « savait qu’il était mort, parce
qu’il n’y a pas de vie après la mort et que Richard
le voyait bien maintenant. »
Mais enfin, pourquoi est-il si difficile de
conceptualiser l’inexistence ? Un aspect de ma
théorie, que je nomme l’« hypothèse des
contraintes de la simulation », postule ceci :
lorsque nous tentons d’imaginer à quoi ressemble le fait d’être mort, nous faisons appel
à nos expériences conscientes, car c’est ainsi
que fonctionne l’imagination, comme l’ont
d’ailleurs démontré tout récemment des expériences d’imagerie cérébrale. Imaginer, c’est
combiner des souvenirs. Mais le problème,
c’est que la mort ne ressemble à rien de ce que
nous avons déjà rencontré. Du fait que nous
n’avons jamais été consciemment sans conscience,
même nos meilleures simulations du vrai néant
ne ressemblent à rien de plausible.
Dans son ouvrage Le sens tragique de la vie,
le philosophe espagnol Miguel de Unamuno
note : « Essayez de remplir votre conscience
avec la représentation de la non-conscience,
et vous verrez que c’est impossible. Le seul

52

fait d’essayer de comprendre pourquoi provoque un vertige désolant. »
Toutefois, objectera-t-on, M. de Unamuno
n’oublie-t-il pas quelque chose ? Nous avons
l’expérience du néant. Chaque nuit, lorsque
nous sombrons dans un sommeil sans rêve,
nous faisons cette expérience. Mais précisément, nous n’en avons aucune expérience
consciente. Les seules phases de notre sommeil
que nous percevons sont celles des rêves, où
la conscience se réactive.

L’expérience du néant
Pour toutes ces raisons, nous avons une tendance à envisager la mort en supposant une
forme d’immortalité psychologique. Au sein
d’une démarche scientifique, il faut à présent
formuler des prédictions à partir de cette
hypothèse, et tenter de les confirmer par l’expérience. Une de ces prédictions est la suivante :
en toute logique, des individus n’ayant pas
été instruits des théories neuroscientifiques
selon lesquelles l’esprit doit disparaître quand
le cerveau meurt doivent en principe adopter
le présupposé d’immortalité psychologique.
En 2004, David Bjorklund, de l’Université
de Floride, et moi-même avons présenté un
spectacle de marionnettes à 200 enfants âgés
de trois à douze ans. Chaque enfant a vu l’his-

Croyances © Cerveau & Psycho

Mort
toire de Bébé Souris, qui se promenait tranquillement dans la forêt. « Et juste à ce momentlà », leur avons-nous dit, « Bébé Souris remarque
quelque chose d’étrange. Les buissons bougent !
Un alligator surgit des fourrés et l’avale d’un
seul coup. Bébé Souris n’est plus vivant. »
Comme avec les adultes de l’étude précédente, nous leur avons posé des questions sur
le fonctionnement mental de Bébé Souris
mort. « Est-ce que Bébé Souris veux toujours
rentrer à la maison ? », « Est-ce qu’il se sent
mal ? », « Peut-il encore sentir l’odeur des
fleurs ? » Les enfants les plus jeunes, âgés de
trois à cinq ans, avaient une probabilité plus
élevée de raisonner en termes de continuité
psychologique que les enfants plus âgés.

le marbre des gènes de notre espèce. Le fait de
comprendre que l’esprit cesse de fonctionner
n’aurait en revanche aucun avantage en termes
de survie, et n’aurait pas été sélectionné parmi
l’arsenal de fonctions cognitives de notre espèce.
En 2005, C. Barrett et Tanya Behne, de l’Université de Manchester, ont montré que des
enfants citadins de quatre ans habitant la ville
de Berlin étaient tout aussi capables de distinguer des animaux endormis d’animaux

Difficile de croire
que tout s’arrête
Toutefois, nous avons constaté que même les
enfants de maternelle ont une bonne compréhension de la mort biologique : ils savaient
par exemple que Bébé Souris mort n’avait
plus besoin d’eau ni de nourriture ; qu’il ne
grandirait pas pour devenir une souris adulte.
Et même, 85 pour cent des enfants les plus
jeunes nous ont affirmé que son cerveau ne
fonctionnait plus. Malgré cela, la plupart de
ces très jeunes enfants nous ont expliqué que
Bébé Souris avait faim ou soif, qu’il se sentait
mieux, qu’il était toujours en colère contre
son frère ou qu’il aimait encore sa mère.
Cette étude nous a révélé que les enfants
d’âge préscolaire disposent d’un concept de
mort, mais qu’ils ont du mal à utiliser cette
connaissance pour théoriser les états mentaux
associés à la mort. En revanche, les réponses
« religieuses » – le paradis, Dieu, ou les esprits –
étaient rares chez les enfants les plus jeunes.
En fait, nous ne sommes guère programmés
pour comprendre la mort ni l’inexistence psychologique. Je pense même que la croyance en
la vie après la mort est un état d’esprit par défaut
(automatique) et qu’on ne peut la renier. Rien
d’étonnant à cela, car du point de vue de l’évolution, une théorie cohérente de la mort psychologique n’est pas nécessairement vitale. Selon
l’anthropologue Clark Barrett, de l’Université
de Californie à Los Angeles, c’est davantage le
concept d’agentivité (par exemple savoir qu’une
créature morte ne va pas bondir brusquement
et mordre) qui s’est révélé crucial en termes de
survie pour nos ancêtres, et qui a été gravé dans

© Stuart Monk/Shutterstock.com

morts que les enfants chasseurs ou horticulteurs de la région du Shuar en Équateur. Même
les enfants des villes d’aujourd’hui semblent
décoder les indices perceptifs signalant la
mort. Une « violation de l’enveloppe corporelle » (en d’autres termes, une carcasse mutilée) est notamment un signe pour discerner
s’il s’agit d’un animal mort ou endormi.
Ainsi, les enfants réalisent très tôt que les
corps morts ne reviendront pas à la vie, mais
ils attribuent dans le même temps des fonctions psychologiques et des pensées aux morts.
La question est alors : à quel moment, la culture
et l’enseignement religieux entrent-ils en jeu ?
En fait, l’exposition au concept de vie après
la mort joue un rôle essentiel dans l’enrichissement et l’élaboration de cette posture cognitive
naturelle ; elle représente un processus d’étayage
architectural, par lequel la culture développe
et décore les éléments de construction psychologique de la croyance religieuse. Le produit
final peut être ornementé ou austère, des
croyances en la réincarnation des bouddhistes

Un colloque
d’esprits trépassés ? 
Si de nombreuses
personnes envisagent
que l’esprit continue
d’exister après
la mort, presque
aucune n’imagine
qu’il reste dans
le crâne…

© L’Essentiel n° 20 / novembre 2014 - janvier 201553

Theravada jusqu’à la croyance philosophique
« Je crois qu’il y a quelque chose après la mort
mais je ne sais pas quoi » de l’homme de la rue.
Paul Harris, de l’Université Harvard, et Marta
Gimenez, de l’UNED en Espagne, l’Université
espagnole d’enseignement à distance, ont
montré que si l’on interroge des passants sur

Lorsqu’une personne perd
un proche, elle continue souvent
à agir par des réflexes qui se sont
enracinés, comme si ce proche
était encore présent.

Bibliographie
J. Piazza et al.,

« Princess Alice
is watching you » :
children’s belief in an
invisible person inhibits
cheating, in J. Exp.
Child Psychol., vol. 109,
pp. 311-320, 2011.

J. Bering,

The folk psychology
of souls, in Behavioral
Brain Sciences, vol. 29,
pp. 453-498, 2006.

J. Bering et al.,

The natural emergence
of reasoning about
the afterlife as
a developmental
regularity,
in Developmental
Psychology, vol. 40,
pp. 217-233, 2004.

J. Bering, Intuitive

conceptions of dead
agents’minds : The
natural foundations
of afterlife beliefs
as phenomenological
boundary, in Journal
of Cognition and Culture,
vol. 2, pp. 263-308, 2002.

54

ces questions en incluant dans les questions
de nombreux termes médicaux ou scientifiques,
le raisonnement de continuité psychologique
s’atténue. Une telle observation conforte l’idée
que la culture influence notre tendance naturelle à dénier la mort de l’esprit.
Dans cette étude publiée en 2005, des enfants
madrilènes âgés de sept à onze ans ont écouté
une histoire où un prêtre expliquait à un enfant
que son grand-père décédé était « avec Dieu ».
Les enfants avaient davantage tendance à attribuer des états mentaux au mort que d’autres
enfants ayant entendu une histoire identique,
mais racontée par un médecin disant que le
grand-père était « mort et enterré ».
Mon collègue D. Bjorklun et moi-même
avons confirmé que les enfants commencent
à subir l’influence du discours religieux après
l’âge de six ans. Nous avons répété l’expérience
de la souris et nous sommes associés au psychologue Carlos Hernandez Blasi, de l’Université
Jaume I en Espagne, pour comparer des enfants
fréquentant une école catholique à des enfants
fréquentant une école publique. Comme dans
l’étude précédente, la quasi-totalité des enfants
les plus jeunes – cinq à six ans – des deux environnements éducatifs affirmaient que les états
mentaux de Bébé Souris avaient survécu. Le
type de scolarité, publique ou religieuse, ne
faisait aucune différence. Toutefois, au-delà
de six ans, l’environnement culturel devient
un facteur important. Les enfants fréquentant
l’école catholique avaient une probabilité de
raisonner en termes de continuité psycholo-

gique supérieure aux enfants de l’école
publique, où nous avons même identifié
quelques jeunes extinctivistes.
Ces obstacles cognitifs et culturels rendent
compte de notre croyance profonde et persistante en l’immortalité. Mais bien que l’hypothèse des contraintes de la simulation contribue
à expliquer pourquoi tant de personnes croient
en quelque chose d’aussi illogique que la vie
après la mort, elle ne nous dit pas pourquoi
les gens voient l’âme se détacher du corps et
flotter vers le royaume de l’éternité comme un
ballon d’hélium invisible. En effet, rien ne nous
empêche a priori de croire en une vie après la
mort mettant en scène un esprit encore actif
enterré dans le crâne et béat. Pourtant, cette
croyance n’existe quasiment pas.
N’importe lequel d’entre nous a appris,
tout jeune enfant, que les gens ne cessent pas
d’exister pour la seule raison que nous ne les
voyons plus. Lorsqu’un oncle ou une tante
repart chez soi, on apprend qu’il existe encore,
mais ailleurs, en un autre lieu. Les psychologues du développement disposent d’ailleurs
d’un terme spécifique pour désigner ce concept :
la « permanence de la personne ». C’est cette
fonction mentale précoce qui détermine notre
rapport à l’autre, et nous sommes profondément habitués à supposer que l’autre existe
même quand il est absent de notre vue. Nous
avons de grandes difficultés à nous débarrasser
de cette habitude.

Comment l’oublier ?
Lorsqu’une personne perd un proche, elle
continue souvent à agir par des réflexes qui se
sont enracinés, comme si ce proche était encore
présent, par exemple en lui préparant à manger :
il s’agit là de reliquats de cette « permanence
de la personne ». Et naturellement, cette incapacité à désactiver la permanence de la personne est particulièrement marquée à l’égard
de ceux qui nous ont été les plus proches, et
que l’on imaginait même lorsqu’ils n’étaient
pas physiquement présents.
En conséquence, la permanence de la personne serait l’obstacle cognitif qui interfère
avec notre prise de conscience que le défunt
n’est plus que résidus carbonés inanimés dont
l’intégrité se dissout dans les réactions biochimiques de la décomposition. Il est au
contraire beaucoup plus « naturel » de les
imaginer existant encore dans un lieu vague,
non observable.
n

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