BRedonnet Bonclou PDF


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Chez Bonclou
et autres toponymes

Bertrand Redonnet

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Je me souviens d’un différend ayant opposé fermement
deux hommes qui se prétendaient également propriétaire
d’une même parcelle de terrain et qui eût trouvé son aboutissement devant l’endormissement d’un juge de tribunal
d’instance si, chaussant leurs bottes et ayant empoché les
photocopies du cadastre, les deux protagonistes ne s’étaient
rencontrés sur le terrain et ne s’étaient alors l’un et l’autre
subitement piqués de toponymie.
C’était en région saintongeaise.
La parcelle, longue de deux cent cinquante mètres au
moins et large de six mètres seulement, était située à l’orée
d’une petite forêt de chênes.
Pour l’un elle constituait l’extrémité des prairies qui vallonnaient jusque là depuis la rivière en contrebas, pour l’autre
elle était au contraire la lisière des bois, qu’il se proposait
d’ailleurs de raser pour sa provision de chauffage.
Il y avait là de beaux fûts de chênes noirs.

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On était en novembre et le vent de l’ouest se balançait
doucement dans les feuilles bigarrées. Une à une, elles
venaient se poser délicatement sur les chemins fangeux,
comme pour ne pas y mourir trop brutalement.
Les deux hommes possédaient des actes en bonne et
due forme et arpentant, mesurant, multipliant par l’échelle du
plan cadastral, ils tombaient invariablement sur la même
bande de terre, trois mètres de pré, trois mètres de chênaie.
Ils en juraient tous leurs saints dieux.
L’un tenait cette parcelle de son père qui la tenait de
son grand-père maternel qui la tenait lui-même d’une dame
Vrignon née Drahoney et de…
Les noms changeaient, on se perdait dans la généalogie.
L’autre prétendait aux mêmes héritages sauf que, léger
avantage, le grand-père était paternel et que donc le patronyme voyageait beaucoup plus loin dans le temps.
Erreur de bornage, de cadastre, de successions,
d’inscriptions ? Ce bout de terrain était à l’un et à l’autre,
moitié pacage, moitié taillis et il faudrait bien finir par en
appeler au jugement public.

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On se désolait de part et d’autre de la longueur de la
procédure et surtout des frais dans lesquels entraînerait
forcément un procès.
On se lorgnait alors, on se toisait, on se jetait des regards torves car lesdits frais, on le savait trop bien, seraient
réclamés au perdant.
Etait-ce bien raisonnable ?
L’un dit qu’il avait entendu son grand-père nommer
l’endroit le Bois des Essarts.
L’autre contesta. Chez lui, on appelait ce terrain Les
Renfermis.
On s’agrippa, on s’énerva. On se traita de menteur et de
sacré voleur et, la fantaisie de faire les érudits ne les eût-elle
pris, qu’on en serait sans doute venu aux mains.
Les Renfermis, rin de tout ça dans la mémoire de notre
famille !
Les Essarts, que ça veut dire quoi Les Essarts, pour dire
un bois ?
Une prairie !
Non ! Un bois !

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Les Essarts, ignorant que tu es, ça veut dire un endroit
qui a été défriché.
Les Renfermis, ignorant toi-même, ça veut dire un
champ entouré de bois, naturellement clos, tellement qu’on
peut y mettre les bêtes à paître sans surveillance.
De lourds dictionnaires ayant été consultés derechef au
détriment des minces actes notariés, on en vint à dire que
l’endroit avait été travaillé jadis par deux ancêtres peu scrupuleux, l’un ayant fait reculer le bois des Essarts et l’autre, au
contraire, l’ayant laissé gagner sur Les Renfermis.
La bande de ce minuscule coin de la planète appartenait bel et bien aux deux compères.
On calcula des heures et des heures, on griffonna, on
ratura, on se prit presque par le colbach avant d’arriver à un
certain nombre de litres de lait à fournir à l’année en échange
d’un cubage de bois de chauffage, de valeur équivalente.
Ce après quoi, on trinqua abondamment à la santé des
dictionnaires et, se tapant fort sur les cuisses, on dit que nom
de dieu, on avait bien fait de ne pas s’aller fourrer entre les
pattes des chats fourrés.

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On n’est jamais de passage quand on remonte le temps
et il ne s’agit pas là d’aller plus vite que la lumière, mais aussi
vite que les mots.
Là-bas par exemple, quand la mer fouette d’écume les
rochers mugissant et qu’il fait froid sous le ciel gris. Le vent du
nord prend l’île en enfilade, par le bout, l’enfourche, la
chevauche, la traverse et les bois noueux des chênes verts se
courbent puissamment sous l’haleine rapide des embruns.
Oléron, plate-bande de terre jetée sur la nappe océane
et qu’on dit, qu’on murmure plutôt, sujette aux instabilités des
plaques, en dessous. Car parfois Oléron se trémousse et les
vieux placards dans les fermes sont pris de craquements
sournois.
C’est toujours la nuit.
Les buffets ouvrent leurs portes disjointes, l’habitant se
tapit sous sa couette, la remonte plus haut sur son nez et il
entend bien, là-bas sur la plage, les cabanes des ostréiculteurs
bariolées comme des roulottes, qui frémissent tout à coup et
qui ont peur et qui se plaignent.

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Un jour, une nuit plutôt, elle sombrera dans des gouffres
aux profondeurs abyssales, effrayantes de monstruosités, en
enfer, Oléron.
Chassiron veille pourtant sur un océan tout vide. Aucun
mât sur l’horizon creusé par la houle. Aucune âme à venir
sauver que les tempêtes auraient fourvoyée jusqu’aux rochers.
Alors Chassiron promène son œil morne sur la désolation
solitaire de la houle.
Derrière lui, dans un dédale de venelles, les fleurs jaunes de février pavoisent en un moutonneux bouquet. Le
déalbata fait la fête. Tempête ou pas tempête, c’est la position
des étoiles qui donne l’heure et l’heure est venue d’inonder
l’île des parfums qui ne craignent ni la mer ni ses souffles
salés. L’arbre baigne sa racine dans des dunes de sable et on
dirait, tant la fleur est dorée, que les cristaux de ce sable
lumineux sont remontés discrètement jusqu’à la branche.
Mimosa, ça sonne comme une rivière qui coulerait en
Espagne et ça gesticule aussi comme un mime. Le mime osa.
L’arbre est un histrion qui donne l’illusion, qui fait croire aux
douceurs du printemps. Au cœur même de l’hiver.

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D’ailleurs, sa feuille en fines dentelles garde sa couleur
de velours en toutes saisons.
Ici la poésie est libre, non assujettie à l’assonance. Dans
toutes les langues, Oléron rime avec mimosa. Pas avec rond.
Jamais. Car l’île est allongée, elle s’étire Nord-ouest, Sud-est,
disgracieuse en son milieu avec un gros ventre qu’on dirait
rempli de poissons. Elle n’est pas ronde sinon on eût pu dire
qu’elle avait été baptisée par des païens patoisant. Olé rond,
c’est rond. Si olé rond, olé pas carré, dit le paysan charentais
quand il veut faire aboutir une évidence qui lui paraît indiscutable ou faire exécuter une décision qu’il juge irrévocable.
Non, ça ne lui colle pas à la côte, ce baptême-là. Il faut
chercher plus loin, dans les arômes des parfums généreux.
Dans les branches du mimosa. Eussions-nous été des inconditionnels de la versification, que la rime eût été riche, accouplant Oléron et jaune citron.
Mais l’odorat l’a emporté sur la vue. Insula olerum, l’île
aux parfums. Oui, le mimosa lui colle mieux à la peau.
Olerum. L’île n’est plus qu’une senteur sous les frimas en
pluie de février. C’est un beau nom, une belle histoire de
Latins.

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D’aucuns en prennent ombrage. Olé pas tcheu, c’est
pas ça. L’histoire est trop embaumée et, bourrant sa pipe, le
vieux pêcheur, pantalon et veste bleus, hausse les épaules,
franchement goguenard.
Je vais vous le dire, moué. C’est que l’Oléronnais a de
la graine de voyou dans ses veines, alors il enjôle, il parfume.
Apocryphe, qu’il est. Car des fortunes ont été ici construites
sur le crime. Autfoué. Quand de fiers galions sillonnaient la
côte, leurs cales regorgeant de richesses venues d’îles plus
lointaines, aux antipodes de la machine ronde.
A Chaucres, au bout de l’île, là où la côte est hérissée
de rochers pointus comme des dagues, aiguisés comme des
couteaux flamboyants, guettaient les naufrageurs. Des feux
s’allumaient dans la nuit tempétueuse qui guidaient des
capitaines en perdition et les bateaux venaient s’éventrer là en
un fracas pervers, abandonnant aux hordes de pillards leur
cargaison de trésors.
L’île au parfum ? Allons, allons ! L’île aux larrons, voilà
la vérité. Et voilà comment dans la marine, de capitaines en
capitaines, d’armateurs en armateurs, de matelots en matelots,
on avait pointé ce coin de l’océan où venaient brutalement

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s’échouer, sur la foi de signaux assassins, les plus habiles
coureurs des mers. L’île aux larrons.
Olé rond, olerum, aux larrons. En tous cas, Oléron voudrait nous dire bien des choses.

Le monde que nous traversons, le monde et ses lieux,
sont muets si nous ne leur parlons pas.
Nous nous y promenons alors comme en terre étrangère, en juif errant, en orphelin et en âme damnée si nous ne
tentons pas de remonter jusqu’à leurs fantômes, qu’ils soient
parfums ou larrons. Mais si nous engageons la conversation, si
nous tentons de lire le paysage des mots, les géographies
qu’on a tant accusées de n’être qu’au service de la guerre,
sont des poésies.
Le livre fourmille de pages. Des pages qui disent ceci ou
racontent cela, parfois le contraire de la précédente. On ne
sait pas. Les suites d’erreurs font partie de l’histoire qui jamais
n’est lue que par un seul oeil. La pâle sagesse des vérités, la
froideur des certitudes, n’ont pas droit de cité ici. Nous
sommes dans la chaleur du doute et la délectation de

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l’interprétation, tantôt dans l’imaginaire, tantôt dans l’histoire,
tantôt dans la fantaisie, tantôt dans le drame, tantôt dans la
liesse, tantôt sur le haut fait, tantôt sur le fait divers.
En tous les cas, nous sommes toujours dans la mémoire
et en disant le nom de baptême d’un lieu, on en fait un lieu
dit. Qu’on peut dire. Pas seulement d’un simple vocable. On
le sort des angoisses de l’oubli et du hasard de l’anonymat.
On brandit son passé à la barbe du présent. On se fait son
biographe, on lui tend la main, on le touche, on secoue son
lourd manteau et ses maisons alignées en une longue rue grise
deviennent bien autre chose que des maisons alignées en une
longue rue grise.
Beaucoup de ces lieux semblent parler d’eux-mêmes. Ils
ne tergiversent pas avec leur passé. On dirait qu’ils assument,
mais on pinaille tout de même sur le détail.
Chez Bonclou, un homme du même nom devait régner
là en maître. C’est certain. Mais pourquoi Bon clou ? Habile
forgeron chez lequel accourait toute la contrée, un virtuose de
la forge et du fer à cheval, disent certains. Mais d’autres vont
plus loin dans le mot et parlent d’usurier tout aussi habile et
chez qui on mettait ses avoirs au clou.

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La mémoire glisse de l’artiste artisan à l’infamie d’un
mont-de-piété, tueur de pauvres gens. Reste qu’une famille a
traversé les âges par la seule vertu du sobriquet et nous, nous
traversons le village en effleurant des lèvres son histoire
imparfaite.
Nous sommes dans un présent quantique et, en même
temps ici et là-bas, marchant sur les mots sans les écraser,
nous inversons la courbe du temps. Un homme s’appelle Jules
par le hasard d’un caprice de ses parents, mais un village
s’appelle Chez Bonclou parce que l’ensemble des hommes
voulait ainsi être transmis à la mémoire des autres hommes.
Pour parler d’eux en même temps et ne point mourir tout à
fait. Comme le titre d’un livre réussi ouvrirait à son auteur les
portes de la postérité, le nom d’un lieu, d’un pont, d’une ville,
d’un hameau, d’un champ, donnerait aux lointains bâtisseurs
comme une prétention à l’éternité.
Leurs murmures alors jalonnent notre promenade.
Quittant l’île aux larrons parfumés, en passant peut-être
par chez l'émérite forgeron usurier, nous remontons le cours
de la Charente et bifurquons bientôt vers les marais poitevins,
jusqu’au canal du Mignon, là où un petit bras se désolidarise

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un moment du lit rectiligne pour le rejoindre un peu plus loin,
formant ainsi un îlot qu’ombragent de fières peupleraies.
Le port des gueux. Eloquence pathétique. Un port dans
la campagne habité par des gueux. Nous voici déjà en
voyage. L’image se structure en filigrane : il y a beaucoup
d’eau et il y a là des manants loqueteux.
Nous sommes passés de l’autre côté des simples mots
en italique d’un panneau indicateur. Le hameau se détache
du présent dont nous avons soudain arrêté la fuite. Il nous fait
signe et décline son identité.
La marquise de Poléon n’avait, dit-on, cure de ces terres
inondées, en proie aux végétations aquatiques inextricables et
aux halliers. Terres sans rapport, terres maudites, terres
impraticables de l’extrémité de son vaste domaine. Magnanime, elle en fit alors don à ceux de ses paysans qui vivaient à
proximité, lesquels paysans, à force de digues, à force de
petits canaux et de fossés creusés, en firent une zone cultivable, une enclave prospère du marais, un port, que la marquise
s’empressa de baptiser « des gueux ». Le port des gueux a
donc reçu ses lettres de noblesse et nous le visitons avec
autant de respect que d’émotion.

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Mais une autre biographie prétend à des temps plus
rapprochés, plus palpables donc.
La région était, avant le phylloxéra dévastateur, une riche et grande région viticole. Le vin coulait à flots dans les
auberges comme dans les tonneaux des Danaïdes. Pensez
donc que Mauzé-sur-le-Mignon, à une lieue de là, cité prospère sur la route de Poitiers à La Rochelle, ne comptait pas
moins de quinze auberges, relais de poste et de chevaux.
L’Empereur lui-même, en partance pour la Roche-sur-Yon, y
gîta une nuit. Quand ils en parlent, les Mauzéens, on jurerait
qu’ils s’en souviennent.
De la vigne donc tout alentour, mais point de fumier
pour en flatter la croissance. Il fallut donc en importer.
En remontant le Mignon on arrivera forcément à Bazoin,
enchevêtrement d’écluses, confluent du canal et de la Sèvre
qui poursuit sa flânerie en larges méandres à travers la Vendée, jusqu’à Charron, paradis des moules, où elle s’engouffre
dans la gueule toujours béante de l’océan.
Et la Vendée est un vaste pacage où ruminent les troupeaux de bovins. C’est donc jusqu’à notre petit port qu’était
acheminé par d’énormes barques, tout le fumier produit là-

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bas et nécessaire à la culture du vignoble. Travail ingrat,
travail malodorant, salissant, travail pénible réservé aux
ouvriers agricoles, ceux qui n’avaient point de benasse au
soleil à faire valoir, et le purin qui devait dégouliner sur les
chemins alentour. Un travail de gueux, à tel point que le petit
port a voulu s’en souvenir.
Mais peut-être les deux versions se rejoignent-elles en
fait, les viticulteurs de la fin du 19ème mettant à profit
l’ingéniosité et l’opiniâtreté de leurs ancêtres asservis du
16ème.
On n’y voit aujourd’hui que des pêcheurs nonchalants
et deux cygnes qui flânent en couple et en rond. Plus de
marquise, plus de vignes, plus de barques, plus de fumier et
plus de gueux. Pas plus qu’ailleurs, je veux dire.
Seul demeure ce nom composé au génitif un peu désobligeant, comme un signal dans les brumes de la mémoire et
qui l’obligerait à s’arrêter là un moment.
Dans la lecture des lieux, s’arrêter c’est aller beaucoup
plus loin que si on filait son chemin. Plus loin que les silences
besogneux du présent.

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La conversation s’engage dans toutes les langues et partout.
Traversant les pays, nous traverserons leurs histoires. A
l’autre bout de l’Europe, à l’est de la Pologne, des villages aux
maisons de bois sont tapis sous les neiges. Champ de batailles
de l’Europe en délire, porte des vastes Russies, région meurtrie
par les guerres et la botte des ogres successifs, qu’ils fussent
Autrichiens, Prussiens, Russes ou, en remontant plus loin
jusqu’au milieu du 17ème, Suédois.
L’entrée des villages silencieux est d’abord signifiée par
la silhouette grise d’un hameau surplombé d’un clocher. Puis
vient le nom aux consonances difficiles.
La plaine est endormie et les rues sont vides. Des arbres
austères jalonnent le chemin qui va le long des maisonnettes.
Kocieniewicze. Un long nom qu’il faut disséquer si
l’on veut pénétrer les drames de la mémoire. Koci, les os,
nie, non, wie, sait, cze (czyje), à qui. Les os on ne sait de qui.
Et à la sortie du village, voie sans issue, là où le vent
s’engouffre sur la plaine à l’horizon fermé par les bois de pins,
un tertre abandonné des hommes est enseveli sous l’herbe
galopante de l’été comme sous les neiges de l’hiver.

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Une croix en pierre, grossière, démolie, chancelante, y
indique une sépulture.
Les champs qui se déroulent alentour ont été le théâtre
d’un effroyable massacre. Jonchés de débris humains à l’heure
de poser les fusils pour reprendre la charrue. On ne peut y
promener son regard sans voir ces os décharnés, sur la terre
éparpillés.
A qui tous ces os ? Russes ? Ukrainiens ? Polonais ? Autrichiens ? Prussiens ?
A tous. Mêlés dans l’horreur absurde des cataclysmes.
Regroupés ici, jetés pêle-mêle sous ce tertre qu’aucune
mémoire ne vient plus saluer, les squelettes de soldats inconnus, squelettes sans cause et sans drapeau, sont là.
Je vais à les os on ne sait de qui. J’habite à les os on ne
sait de qui. Né un 9 décembre à Les os on ne sait de qui.
Tant que ce nom s’inscrira sur une carte, tant que des
gens seront obligés de le prononcer pour se situer, ces jeunes
hommes massacrés, humiliés par l’anonymat, apatrides
volatilisés dans l’horreur d’un charnier, ne nous quitteront pas
totalement. Nous saurons que nous ne savons pas à qui sont
les os.

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Mais, au moins, nous saurons qu’ils sont et où ils sont.
Nous sommes bien dans l’oxymore de l’éternité temporelle. Le moment des faits et celui où nous en prenons
connaissance en lisant un nom qui force notre investigation,
s’effleurent, se juxtaposent, se confondent et en même temps,
c’est ce que nous appelons la mémoire, ils sont dissociés par
le temps qui s’est écoulé entre eux.
Nous ne nous souvenons que du passé. C’est une erreur
de parallaxe. Nous avons bougé, mais pas l’objet de notre
pensée. Car on ne peut se souvenir qu’au présent et ce n’est
pas cet objet de la mémoire lui-même qui est attrayant,
pathétique et humain mais l’activité de cette mémoire dans sa
réalité, dans son actualité. Sans quoi il n’y aurait ni douleur,
ni plaisir à évoquer et le mot nostalgie, nostos le retour et
algos la souffrance, n’existerait pas.
C’est pourquoi en poésie toponymique, un fait avéré a
le droit d’engendrer moult interprétations, c’est dire moult
sensibilités au présent composé.
Tout comme telle vision du monde donne naissance à
tel poème.

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Ce qu’il me plaît souvent d’imaginer, c’est le sentier qui
relie deux, voire trois versants de la mémoire. Forcément, ce
sentier est humain. Ses causes sont humaines. Il n’est pas
tombé du ciel, même si c’est un fou, un poète, un illuminé,
un homme pris de boisson, que sais-je encore, qui aurait un
jour prétendu telle ou telle chose et que son extravagance fût
telle qu’elle ait traversé les brouillards des âges pour parvenir
jusqu’à nos oreilles.
A « Aux os on ne sait de qui », l’éloquence est dramatiquement parfaite, la mémoire ne pouvant se frayer qu’un seul
chemin pour arriver jusqu’à nous. La petite nécropole abandonnée aux caprices des végétations témoigne en outre et
sans équivoque.
A Chez Bonclou, on chicane sur la qualité d’un homme
socialement important. Je peux bien dès dors imaginer que les
deux ont existé, le forgeron comme le prêteur, l’un pouvant
même être le fils, le petit-fils, voire l’arrière-petit-fils de
l’autre, les générations ayant réactualisé pour passer le flambeau et l’érosion finissant par faire cohabiter les deux personnages. Peut-être

furent-ils aussi, pourquoi pas, le même

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homme et qu’en vertu de nos dispositions, nous retenions ceci
plutôt que cela de cet homme. Toutes les supputations, toutes
les imaginations sont permises, pourvu qu’on n’écorche pas le
nom et qu’on garde entre les lèvres un brin du bouquet de la
mémoire, « un flocon des neiges d’antan ».
Oléron célèbre les exhalaisons des fleurs ou les trahisons des naufrageurs. Les sinuosités paraissent occultes,
comme deux témoignages diamétralement étrangers. Entre la
flibuste et le mimosa, je ne distingue pas d’évidence où les
mots auraient pu se rejoindre et…
Quoique…
Je me souviens d’une fête du mimosa, de tous ces arbustes en liesse, subtilement pailletés d’or et de ces senteurs qui
donnent le vertige délicat des beaux jours. Le brouillard était
froid cependant et l’océan tout gris faisait le gros dos, bavant
des écumes qui s’échouaient et roulaient sur la grève. Son
souffle en rafales soulevait des embruns qui fouettaient les
visages rougis, baissés sous la morsure.
La corne du printemps avait claironné faux et je m’étais
fourvoyé dans une promenade transie jusqu’à la moelle. Un

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naufrageur de promeneurs, le beau mimosa. Un mime. Une
illusion. Un larron tendrement parfumé.

Les mots voyageurs sont dispersés tout autour de nous, à
notre disposition de curieux. C’est à nous de fureter, de
soulever les apparences et de les découvrir. Comme des
chercheurs de bolets à l’été finissant et sur les sentiers peu
fréquentés des sous-bois, si peu fréquentés, tellement inutiles,
qu’ils en viendraient à disparaître, repris par la broussaille et
qu’il y faut écarter l’épine noire et le genêt pour progresser.
C’est le premier plaisir du promeneur, trouver son
champignon, dans un coin secret déserté des hommes, le
chapeau gras et luisant sur un talus moussu et sous un rai
humide de fine lumière, comme s’il ne s’était appliqué à
pousser là que pour ce chercheur, jusqu’à lui venu.
Le second plaisir est un plaisir de bouche, flatter le palais du fruit de la découverte, le secret de la cuisson étant à la
discrétion du seul cueilleur. Un fait du prince.
Que seraient nos mots si nous ne nous en faisions les
découvreurs et ne les cuisinions selon notre appétit ? Des

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concepts purs, des produits et des leçons. Les mots ne sont
plaisirs que s’ils ouvrent sur les paradis à jamais perdus de nos
printemps en culottes courtes. Les mots doivent babiller, sentir
le lait et le commencement de la grande aventure. Ils doivent
être dits avec la voix lactée.
Ecoutez bien quelqu’un qui parle avec des mots fermés,
avec des leçons. Il vous dira des choses intelligentes, raisonnables, indéniables, vérifiables. Mais il ne vous dira jamais de
belles choses.
Seuls les conteurs et les affabulateurs savent ouvrir les
mots sur des horizons perdus. Un jour, ou une nuit, ils diront
le mot « mort ». C’est toujours leur dernier mot. Le seul mot
fermé. Le seul qui n’admette pas la métaphore.
Mais tant qu’il y a promenade sous les étoiles, nous
sommes dans la métaphore. Une vie c’est d’abord pour moi
cette figure de style souveraine dont dépendent toutes les
autres et les mots que nous croisons de nos pas, les mots qui
désignent nos espaces, sont d’abord des figures de style.
Les jargons du langage populaire du Moyen-âge le savaient bien qui en usaient pour jargonner.

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« Aller à Rouen », c’était aller tout droit à la faillite.
Rouen, la ruine. Conquête subtile de la paronymie au détriment complet du sens. Le mot est balayé, vidé de sa raison
sémantique pour n’en garder que la musique.
« Aller en Bavière », autre jeu de mots toponymique,
pour dire baver au sens argotique de « tenir des propos
médisants » mais aussi, pour la truanderie, se confesser à la
police et même donner honteusement les complices de
quelque forfait.
Que de la musique. Nul accès pour les néophytes qui,
creusant les mots jusqu’à la lie, les tournant dans tous les
sens, ne pouvaient en découvrir la clef puisqu’ils n’en écoutaient pas la tonalité.
Se disait aussi le contraire de «aller en Bavière », « aller
à Niort», nier l’évidence.
Et justement en région niortaise. Au sud du département
des Deux-sèvres se déroule la forêt de Chizé, de hêtres et de
charmes. Puis, après un intervalle fait de petites plaines
légèrement ondulantes, commence celle d’Aulnay, plus
sombre, plutôt en chênes celle-ci et déjà sur le département
de la Charente-Maritime.

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Entre ces deux beaux massifs s’éparpillent de petits villages dont un, érigé sur une proéminence d’où le pâle horizon
s’élargit très loin, plus loin que Melle, est remarquable
d’homonymie. On ne peut guère, même en filant très vite,
faire fi de ce nom exposé comme une galéjade, Le Cul.
« Je vais au Cul » ai-je entendu dire un de ses habitants
qui, ébéniste de son état et renversant le mot cul par-dessus
tête, se faisait lui-même appeler Luc. Je suppose que les
métaphores, les métonymies et autres syllepses ont alimenté
et alimentent encore les allusions plaisamment égrillardes.
« Il y a le feu au Cul ! Il y a le feu au Cul !» Impossible,
si l’on veut rester décent et être pris au sérieux, de faire de ce
l une lettre muette. D’autant qu’à quelques kilomètres de là
un autre hameau se fait gentiment appeler, en référence au
dieu soleil peut-être, Ré.
Ré-lès-cul. Ré près du cul. Il y a là matière à nourrir
toute sorte d’imaginaires grivois.
Mais Le Cul, en fait, ne se prêterait guère à ses rapprochements intempestifs de bas étage, puisque c’est de sa
hauteur qu’il tiendrait son nom. La colline sur laquelle il a
planté ses quelques maisons à tout vent est en effet le point le

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plus élevé de la contrée. Le Cul, le point culminant. De quoi
faire taire tous les commentaires irrévérencieux même si,
tenant à tout prix à se faire l’avocat d’une lecture croustillante, on est en droit de se demander pourquoi le mot aurait
été coupé justement là, en son beau milieu de culmen,
désignant le sommet.
Oui, pourquoi ? Insiste ce monsieur de passage et bien
mis sur lui, avec un petit chapeau en feutre et un petit gilet
écossais qui ne lui sied pas du tout.
Ça semble l’irriter beaucoup ce culmen fendu en deux,
ce Cul qui culminerait. Il en prend ombrage, il frappe le sol
du bout de sa canne et il tempête, au point qu’on le presse de
s’expliquer ou de s’en aller ailleurs faire des zizanies.
Il se calme et il raconte alors qu’il vient de la Vienne, de
quelque vingt kilomètres à l’est de Poitiers, d’un village qui lui
aussi, occupe une position géographique élevée. Hélas, son
patronyme a souffert des maltraitances et des négligences des
copistes. Anxaumont voilà ce qu’est devenu son village en
lieu et place d’Enxomont, à cause de scribes négligents,
myopes, ivres peut- être.

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On a même relevé, de transcriptions défectueuses en insouciances coupables, En saumon, puis Anxomiont pour
finalement aboutir à Anxaumont. Mais moi, quand je dois
faire état du lieu de mon domicile, je dis le seul nom qui
vaille, Enxomont.
Car sachez, Messieurs, qu’Enxomont est directement tiré
d’excelsus qui dit un lieu en hauteur, et mon hameau, du haut
de sa colline, domine effectivement la région jusqu’à SaintJulien-l’Ars. Alors voyez-vous, Enxomont, vrai nom, ne rime
pas du tout, mais alors pas du tout, avec votre faux Cul.
On lève les bras. On vilipende sans retenue cet olibrius
qui fait l’érudit en latin. On s’exclame. Notre village n’a-t-il
pas fière allure sur sa colline ? N’y entend-t-on pas comme la
respiration des hautes cimes quand le vent y souffle fort, qu’il
balaie du ciel les cumulo-nimbus comme si, jaillissant de la
forêt de Chizé où il a dû batailler pour se frayer un chemin, il
reprenait sur la courte plaine son haleine avant de s’élancer
derechef à l’assaut de la forêt d’Aulnay ?
Il n’empêche. Outre ce petit monsieur bizarrement accoutré et venu d’Enxomont, tous les gens des environs
n’adhèrent pas eux-mêmes à cette lecture donnée par les

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seuls riverains d’une place inexpugnable dominant le
paysage, tel un beffroi de verdure.
Les partisans d’un autre décryptage s’entêtent sur le cul,
mais en concédant qu’il faut le débarrasser de sa trivialité.
Car Le Cul, juché sur sa colline et adossé à la forêt, est
presque une impasse. On ne peut guère aller plus loin, sinon
à pied. C’est un cul de sac, tout simplement. Ça n’est point
forcément désobligeant mais tout de même on y lirait comme
une légère connotation de coin perdu, ravitaillé par les
grolles, comme on dit par ici.
En tous cas, c’est moins avantageux que la notion de
sommet. Les demi-tours sont toujours moins glorieux que les
ascensions et résonnent le plus souvent comme des renoncements.
C’est pour cela sans doute que beaucoup d’entre nous,
se promenant, randonnant ou même partant vers de plus
lointains voyages, n’aiment pas emprunter sur le retour le
chemin de leur aller. La boucle est un périple, l’aller-retour un
trajet de chemin de fer.
Mon imagination de lecteur de villages court où ont
couru mes pas. Des bords de l’océan à l’autre bout du conti-

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nent, d’Ouest en Est. J’ai parcouru des yeux ces villages et ces
lieux-dits comme un livre écrit par des toits, des chemins, des
nuages et des arbres. Tant et si bien que la lecture dépend
pour beaucoup de la position du soleil dans le ciel, quotidienne ou annuelle, de la direction d’où nous venons, de ce
qui nous a conduits là et du sens que nous donnons à notre
voyage.
Un lieu nommé vous parlera autrement selon que vous
y soyez par hasard, que vous l’ayez préalablement choisi ou
que vous vous proposiez ou non d’y séjourner. Combien de
temps importe peu. Seul le touriste, son budget et sa note
d’hôtel savent la durée d’une villégiature. Un voyageur
jamais.
Je suis tombé au bout de ma course sur une rivière infranchissable.
Une large rivière qu’on dit être la dernière en Europe à
n’être point apprivoisée, domptée et régulée. Une rivière
sauvagement belle avec des remous tels que vingt-sept pays
rassemblés sont tombés d’accord pour en faire leur frontière
commune.

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Sur l’autre berge, si l’on venait à dépasser ces remous
intrépides, la Russie blanche exigerait manu militari que l’on
montrât aussitôt patte de même couleur.
Grise et bleue, la rivière semble s’ouvrir un passage
dans l’épaisseur des

champs de neige. Son berceau est

ukrainien, elle s’écoule vers le Nord et après une balade de
huit cents kilomètres, elle abandonne non loin de Varsovie
son nom à la Vistule, qui se charge alors de porter ses eaux,
ses poissons et ses rêveries jusqu’à la Baltique.
Des moines orthodoxes, leur longue barbe en broussailles et toujours marmonnant, y prélèvent la friture de leurs
repas. Ils sont d’habiles pêcheurs. Ils sont aussi d’une hospitalité sans ambages et savent rire, plaisanter et parler de tout. Je
ne trouve pas chez ces moines orthodoxes la sévérité austère
dont aiment faire montre les catholiques.
Ils se sont installés dans un méandre retiré de la rivière
et quand des montagnes lointaines fondent les neiges en
même temps que celles des champs et des bois alentour,
alors l’eau à perte de vue encercle encore un peu plus leur
mystique ermitage.

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Suivant prudemment la rivière en remontant vers le
Nord, les berges sont comme des plages et de petites dunes
coiffées de pinèdes capiteuses. Au loin, l’imposante silhouette
d’une basilique entièrement blanche ferme le ciel.
Kode, la fervente catholique, si fière, presque imbue,
de son glorieux édifice avec, à l’intérieur, ce tableau d’une
Vierge qu’on dit miraculeux mais surtout objet d’une histoire
tellement farfelue que, peut-être, je la raconterai.
La basilique de Kode tourne le dos à la rivière frontière. Elle a l’air de se dresser comme un fier rempart qui
protégerait en même temps des vents d’est et des liturgies
gréco-latines. Quoique nos Zarathoustras pêcheurs et barbus
ne soient qu’à quelques battements d’ailes de cigogne, nous
en sommes maintenant fort éloignés.
Cet accent sur le n fait notre « gn.». La bourgade et sa
basilique eussent-elles vécu sous nos climats que Kode se
serait sans doute fait appeler Kodègne et que nous aurions eu
bien du mal à vouloir pénétrer ses secrets patronymiques.
Mais nous sommes dans une lecture slave et To de en
lituanien, signifie « Il fait jour.» Il faut dire que par l’union de

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Lublin, scellée en mille cinq cent quarante neuf, la Pologne et
la Lituanie constituaient un seul royaume.
On raconte alors qu’un prince lituanien, du nom de
Mendog, avait poursuivi jusques là quelque redoutable
ennemi. Quoique ce dernier semblât fuir devant les armées
du Prince au point de se retrouver bientôt acculé aux remous
de l’intrépide rivière, la tombée de la nuit avait contraint
Mendog d’abandonner sa traque.
Ayant ordonné le campement, il aurait demandé à son
serviteur de le réveiller très tôt le lendemain matin afin de
surprendre l’adversaire en livrant bataille dès potron-minet.
A l’aurore à peine blanchie, le serviteur serait donc entré dans la tente du Prince en criant « Pane, To de »,
« Prince, c’est le jour ». Le prince aurait vu là un excellent
présage quant à l’attaque qu’il avait à conduire et aurait
répondu : « Oui, c’est le bon jour. »
A l’issue de la bataille et la fortune des armes lui ayant
souri, il aurait alors appelé cet endroit To de qui serait
devenu au fil des langages successifs, Ko de puis Kode.
C’est là une crâne étiquette. C’est un nom qui sonne les
aubes triomphantes. Tellement que forcément, laissant là les

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hauts faits d’armes d’un prince, des murmures plus prosaïques
lisent la langue sans l’évènementiel.
Rabat-joie, ils traduisent le vieux slave de l’est, le slavon, dans lequel Kode désigne un poulailler ou une chaumière.
On lit, un vieux dictionnaire à la main en suivant avec
le doigt qui tapote doctement la ligne, et on plaisante gentiment ces enfantillages en romans historiques, tandis que les
partisans du prince guerrier s’indignent.
Un poulailler ? En voilà des façons de nommer une
ville ! Que nous chantent-ils là, ces coqs érudits, dressés sur
leurs ergots ?
On s’esclaffe à la fin et, ultima ratio regum, on exhibe à
la barbe des linguistes médusés une carte du 17ème siècle,
jaunie, écornée. L’index se pose sur la ville orthographiée
Tode. Les savants se penchent sur le parchemin et ils clignent des yeux.
Une carte n’est-elle pas plus digne de foi qu’un dictionnaire ? Est-ce qu’on ne se dirige pas, est-ce qu’on ne livre pas
des batailles opportunes sur la seule foi des indications
topographiques ? Alors qu’un dictionnaire…

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Les deux arguments se neutralisent. Chacun garde sa
lecture, quoique sa conviction légèrement ébranlée. Difficile
de trouver un enjambement qui fasse rimer les deux poèmes.
Un poulailler et un prince, des plumes, des batailles et des
aurores prometteuses.
Il est vrai que de tous les endroits de la campagne, le
poulailler est celui d’où sont annoncées les premières lueurs
d’un jour nouveau. Et si le prince avait été alerté de l’aube
naissante par le chant d’un coq plutôt que par un serviteur ? Et
si l’heureux dénouement de son engagement militaire l’avait
mis de si badine humeur qu’il eût hasardé ce jeu de mots de
To de et Kode ?
La controverse apaisée sinon totalement éteinte, au
moins les protagonistes haussent-ils dubitativement leurs
épaules, les uns refermant le gros dictionnaire et les autres
repliant la vieille carte, et se séparent-ils avec cet air qui dit,
qu’après tout, « tout est possible.»
Ils sont dans le vrai. Tout est possible en jouant des
mots dont sont faits nos lieux. Un coq a réveillé le Prince
soldat et le mot est ainsi lisible dans tous les sens.

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Quoi qu’il en soit, Kode est illustre pour le tableau soidisant miraculeux auquel je faisais tout à l’heure allusion. On
y accourt de toute la Pologne pour en célébrer la mystique
beauté et, pour la énième fois, s’y faire raconter son histoire
fantasque. Mais nous nous écarterions de notre voyage. Plus
tard peut-être vous raconterai-je cette histoire catholique qui
ne l’est pas vraiment.
Il est vrai que la Pologne est, depuis le 10ème siècle, de
forte tradition catholique et qu’elle se plaît à offrir au monde
ce visage de piété. Mais pas plus que le Portugal, l’Irlande, la
Bretagne ou la Vendée.
Ainsi nous voici de retour à l’ouest, en Vendée, verte et
bleue, et plus précisément dans sa partie sud où dorment les
marais, où s’étirent les vastes prés communaux au libre
pacage avec au-dessus d’eux le ciel blanc et bleu, cotonneux,
comme surgi de l’océan.
A la jonction avec les deux autres départements que
sont les Deux-Sèvres et la Charente-Maritime, par une petite
route qui borde l’eau verte des conches, le regard prend en
enfilade le village de Damvix. L’eau somnole et les maisons

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alignées une à une se reflètent dans le canal. Elles font le
poirier.
Sitôt la sortie du village, le dédale de canaux, de rus, de
fossés, de conches toute vertes, les prés humides, les peupleraies et les halliers d’arbustes forment comme un site énigmatique, d’une inquiétante beauté quand la lumière faiblit et que
les habitants rampants, ailés, sauteurs ou nageurs y saluent
chacun avec leurs mouvements et leurs voix le crépuscule des
jours.
Entre les haies, derrière, clignotent les pâles lampions
de Damvix.
Nous sommes donc en Vendée et l’Eglise prétend ici savoir bien lire le latin de l’histoire. Selon elle Damvix c’est
Domnovito, village donné par Guillaume V, Comte du Poitou,
à l’abbaye de Saint-Maixent.
Est-ce bien tout ? C’était en l’an mille dix. N’y aurait-il
rien de lisible avant l’an mille dix ? Les Celtes et plus tard les
Gallo-romains, ces derniers aimant à construire de belles
villas sur les rivages, n’ont-ils pas habillé d’un nom ce lieu
péninsulaire du golfe des Pictons ?

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Et puis, c’est bien gênant, mais certains latinistes, sérieux quoique irrévérencieux, traduisent plaisamment Domnovito par « A Sa Majesté le Vit. » Inutile de dire que la
paroisse et ses paroissiens rechignent fermement et ne veulent
point entendre chanter ce latin-là.
Mais Irleau, à quelques conches de là, vole au secours
de Damvix et brandit fièrement, preuves à l’appui, des restes
d’habitations lacustres qui témoignent d’une vie celtique sur
ces littoraux.
Force nous est alors de considérer Damvix bien antérieur à la générosité du Comte du Poitou et de refermer pour
un temps le livre controversé des ecclésiastiques.
Cette donation d’ailleurs nous en rappelle une autre,
plus haut, celle de la marquise de Poléon à ses gueux. Décidément les grands nobles se montraient fort prodigues
s’agissant de ces lopins de leur domaine en inextricables
tourbières, limoneuses, aux eaux dormantes et saumâtres.
Comme les gueux du port, gageons que les moines de
l’abbaye ont su de leurs mains besogneuses faire reculer
l’autorité déclinante de l’océan.

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Mais les vestiges d’Irleau enflamment Damvix, lui offrent un autre état civil où le bas latin cède le pas au haut
latin. Que s’est-il donc passé là pour que les conquérants du
Bellum Gallicum marquassent du sceau de l’infamie cette
péninsule aux lumières diaphanes, métissage de la terre, des
nuages et de l’eau, en la désignant Damnun Viccus, le village
des damnés, le village maudit.
Il n’y a pas à tergiverser sur le suffixe de Damvix. A
quelques lieues de là, un autre village, Vix, s’étire, s’étire,
n’en finit pas de s’étirer sur plus de deux kilomètres de longueur et une habitation de largeur, comme s’il n’avait pas eu
de place pour s’installer, comme s’il s’était frayé un chemin
sur une étroite bande de terre, sur un gué.
C’est le dramatique préfixe de Damvix qui fait plisser les
fronts et anime les points de vue. Maudit, maudit, comme
vous y allez ! De quelle malédiction aurait pu être frappé
notre Vix ? D’ailleurs, c’est du latin tardif, du latin chrétien et
les conquérants de César ignoraient l’anathème des catholiques. Laissons cela au Comte du Poitou et à ses moines dont
on a déjà vu qu’ils raccourcissaient sans ambages l’histoire de
dix siècles !

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Assurément, la damnation est née de quelque offensive
menée par les légions romaines. Le mot est païen et s’il est
sorti de la bouche des conquérants c’est qu’ils ont essuyé là
de cinglants revers. On ne damne pas un lieu où la fortune
des armes vous a souri.
A moins qu’ils n’y aient aperçu, dans l’ivresse de la
conquête, une bête absolument hideuse exhibant une tête
effroyable et difforme des eaux glauques et tièdes des marais
et qu’ils s’en fussent effrayés au point de décamper avec
armes et bagages, croyant dans leur folie avoir entrevu les
portes de l’enfer.
Des rires éclatent et on se frappe la cuisse devant
l’imagination du phraseur. On se tient les côtes, des larmes
inondent les yeux à demi-fermés, des poings rugueux martèlent le bois brut des tables et le petit rosé de Vix tremble dans
les verres.
Mais le savant bavard s’obstine dans son évocation, si
pointue qu’elle fait peu à peu taire les goguenards et que
même un soupçon d’effroi fait frémir les échines.
Qu’on apprenne alors qu’être damné, c’est être
condamné aux supplices de l’enfer et qu’on veuille bien se

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pencher un moment sur cet autre curieux emploi selon lequel
le mot a signifié aussi « fermer une porte ». Ne dîtes-vous pas
vous-mêmes, obstruant avec vos planches ou vos parpaings
une porte, une fenêtre ou un passage entre vos champs avec
des arbres ou des semailles, que vous les condamnez ?
Une bête terrifiante, écoeurante de viscosité et telle que
l’imagination la plus malade ne peut même en concevoir,
qu’ils ont vue, les guerriers de Rome, un soir où la lune ellemême était hideuse, tel un œil de dément planté au firmament. Un monstre qui surgissait des eaux boueuses et rampantes des marais. Pris d’épouvante, les légionnaires ont fui
cette péninsule ouverte sur les tumultes de l’océan et l’ont
condamnée à jamais sur leur carte comme étant en même
temps la porte béant sur les enfers et celle devant clôturer leur
empire.
Des regards torves se tournent lentement vers les carreaux des fenêtres et contemplent là-bas la ligne verte des
peupleraies qui ondule au-dessus de l’eau. Des colonies de
mouettes blanches aux becs jaunes voguent sur la prairie en
vaguelettes. On fait la moue, on s’ébroue, on lève son verre et
on enjoint enfin au causeur de se taire. Est-ce qu’il n’est pas

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fou ce gredin-là, à nous faire peur comme ça ? Des bêtes
immondes ? Non, nous voulons bien habiter un village damné
mais pas sur la foi de ce conte à cauchemarder debout.
Puisqu’on ne peut en faire fi, il faut vite tourner le mot à
l’avantage des damnés. C’est bien la première suggestion de
ce conteur avec son monstre qui était dans l’exacte vérité. Car
les armes de César ont trouvé là à qui parler et les habitants
de ces contrées hostiles ont su mettre à profit le dédale de
ruisseaux, les marécages inaccessibles avec leurs ombres,
leurs halliers et leurs pièges, pour tenir en respect la pénétration des Latins qui s’y sont embourbés et qui, à force d’échecs
et de pertes, ont fini par l’abandonner, le damner et le vouer
aux gémonies.
Damvix, village d’irréductibles. Avec comme seule potion magique le petit rosé noueux des coteaux. Voilà qui a du
sens et voilà qui a de l’allure.
Mais une petite voix dans le tumulte des interprétations
hasarde que, glorieuse ou pas, cette damnation colle bien à la
peau de Damvix. Pensez que beaucoup plus tard, dans la
seconde moitié du 19ème, les prisonniers en partance pour
Cayenne et qui devaient passer par ces marais pour rejoindre

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le port d’embarquement de La Rochelle, leurs pieds nus
entravés, avaient surnommé l’endroit « les portes de l’enfer »,
tant ils y étaient harcelés par les moustiques et les sangsues,
comme un douloureux préambule aux climats vers lesquels
on les conduisait enchaînés.
Un

monstre,

des

légions

défaites

acculées

à

l’épouvante, des bagnards et des damnations. D’autres peutêtre en prendraient ombrage et liraient là-haut, sur le coton
instable des nuages, comme de mauvais augures.
Mais la couleur de la vie ici est une aquarelle en vert et
bleu humides. Elle a gardé des bords extrêmes de l’océan
cette réflexion mystérieuse de la lumière qui tremble sur l’eau
et cette nonchalance des paysages secrets, façonnés par le
lent recul des eaux. On y taquine l’anguille dans des bottes
d’osier savamment tressées, on y boit le vin aigrelet des
coteaux de Vix, on y cuit la mojette blanche aux lardons
fumés et on s’y promène le long des glycines, les yeux sur
l’horizon des prairies émaillées de touffes d’aulnes et de
frênes.
Si ce sont là les portes de l’enfer, alors l’enfer est un
doux paradis.

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Un vieux bonhomme est assis sur une pierre énorme, à
l’ombre d’un saule pleurant jusqu’à la poussière du sol.
Il montre le Sud, vers Arçais tout près, au bout de la
grande rigole, Niort plus loin, et encore plus loin, en remontant vers le Nord.
Il connaît là-bas, bien avant la plaine du Thouarsais,
longtemps après celle de Niort, plutôt aux abords de Bressuire, un village au nom singulier, bien qu’il n’y ait pas de
marais mystérieux alentour. Que du bocage. Ça lui semble
être au bout de la terre, au pépé maraîchin. Lui qui ne dépasse plus les frontières de Damvix que marquent les tourbillons de l’écluse des Bourdettes, il s’en va en mémoire jusqu’à
cet endroit où il eut à passer, un jour, il y a longtemps, et il
ricane, toute sa vieille personne tressautant de plaisir contenu.
Peut-être notre village a-t-il été damné, mais là-bas,
vraiment ils exagèrent.
C’est un village et son église. Saint- Sauveur. Tout le
monde sait qui est le Saint Sauveur. Un peu partout sur le sol
de France, des hameaux, des villages, des bourgades, des
cités sont désignés par l’insigne antonomase, tant on imagine
mal un lieu-dit s'adjugeant le nom de Jésus Christ. Il y aurait

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là comme une forte présomption pour le blasphème et nous
sortons tout juste des malédictions de l’anathème.
Chacun de ces Saint-Sauveur a cependant dû, pour être
sauvé de la confusion avec les autres, prendre un deuxième
nom, comme notre état civil et ses deux, voire trois prénoms,
afin que nous ne fussions pas associés, surtout dans des cas
extrêmes, avec un homographe. Saint-Sauveur d’Aunis, LuzSaint-Sauveur,

Saint-Sauveur

d’Aix-en-Provence,

Saint-

Sauveur-en-Puisaye, patrie de Colette, j’en passe et de tout
aussi éloquents.
Celui que nous raconte pour l’heure le pépé Damvixois
eût pu s’appeler Saint-Sauveur-en-Deux-Sèvres, tout simplement. Mais une énigme tellement extravagante s’y serait
déroulée, qu’elle est passée joliment à la postérité toponymique.
Sept cent trente deux fait partie de ces dates qui
s’inscrivent dans nos mémoires d’écolier et n’en ressortent
plus, tout comme mille cinq cent quinze, on ne saurait trop
dire pourquoi. C’est donc cette année-là que Charles Martel
arrêta les Arabes à Poitiers. Plus tard, on étudie plus sérieusement alors on dit les Sarrasins. On situe aussi plus précisé-

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ment le théâtre des opérations, entre Poitiers et Tours, à
Moussais exactement, d’ailleurs nommé depuis lors Moussais-La-Bataille.
Toujours est-il que les armées musulmanes ayant été défaites et leur commandant en chef Abd el Rahman ayant
succombé au combat, un important groupe de Sarrasins et
leurs familles, fuyards désemparés, s’étaient réfugiés en
l’église de ce Saint-Sauveur-en Deux-Sèvres, à quelque quatre
vingt kilomètres à l’ouest du champ de la fatale bataille.
Respectueux du Saint Lieu et des célestes lois qui le protègent de toute violence, les habitants les assiégeaient mais ne
les attaquaient pas. Ils promettaient aussi la vie sauve aux
Berbères s’ils leur rendaient incessamment le lieu de leur
culte.
Les vaillants guerriers Arabes, voulant faire savoir leur
ténacité et leur ferme intention de résister jusqu’au dernier,
transmirent un beau soir aux assaillants qu’ils ne se rendraient
que s’il y avait du givre aux arbres le lendemain matin.
Or, nous étions au mois de mai. Les habitants reçurent
donc le message comme une facétie, du style « quand les

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poules auront des dents », et donc comme une indéfectible
volonté de ne pas abdiquer.
Ils se préparèrent ainsi à tenir un très long siège devant
leur saint monument.
Il advint alors ce miracle que le jour se leva sur une
campagne toute blanche et que le givre brilla aux branches
des arbres, comme autant de petits cristaux ou de poussières
d’étoiles miroitant sous les premiers rayons de l’aube.
Hommes de parole et d’honneur, les Sarrasins médusés
se rendirent, les assiégeants persuadés qu’il s’agissait là d’une
intervention de la Divine Providence et les assiégés accusant
sans doute une félonie du hasard.
Hommes de parole et d’honneur itou, les habitants laissèrent la vie sauve aux Sarrasins qui s’éparpillèrent alors avec
leur famille sur les territoires alentour, où ils élirent pour la
plupart domicile et où, qu’on me pardonne cet épilogue en
conte de fée, s’établit aussi leur descendance.
Si vous traversez un jour ce bout de la Gâtine, vous ne
pourrez qu’arrêter un moment votre regard sur cette périphrase, Saint-Sauveur-de-givre-en-mai, qu’on dirait avoir été

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écrite par le langage tout en allégories des Indiens de
l’Amérique du nord.
Le vieux bonhomme se souvient avec précision. Il ne se
souvient pas du pourquoi il est allé là-bas, il y a si longtemps.
Il ne se souvient donc plus de lui en tant qu’homme acteur
d’un moment de sa vie. Il s’efface devant sa mémoire, cet
épisode étant seulement resté suspendu aux lèvres d’un nom
insolite de village.
Il lui vient d’ailleurs une idée amusante et qui ne l’avait
jusqu’alors jamais effleuré. Comment peut-on qualifier les
habitants d’un tel nom ? Il lui semble impossible de décliner
de façon cohérente tout à la fois les six mots.
Saint-Sauveur-de-givre-en-mai. Il essaie à part lui, il secoue la tête et il rit de toutes ses dents, tant ça lui paraît
farfelu.
Mais il est vrai que ces lieux sont habités par des légendes et des histoires tellement fantastiques et qui traversent,
imperturbables, sans prendre une seule ride, les érosions du
temps, qu’on en oublie de nommer leurs occupants qui, eux,
ne sont que d’un éphémère passage.

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La magie des mots passe le flambeau toujours intact,
loin par-delà les hommes. Les mots sont des monuments. Des
monuments, que dis-je ? Plus que des monuments. Eux, rien,
ni l’érosion des vents et des pluies, ni les morsures du gel, ni
le sel des mers, ni les retouches au goût changeant des siècles, ni le feu, ni l’eau, ni les catapultes de la guerre, ni le
graffiti, ni même la fiente des pigeons, ne viennent les défigurer. Ils ne passent pas, ils sont. Et autour d’eux s’anime la
ronde éternelle des hommes, homme après homme.
Les lire, c’est revenir sur des pas. A notre guise. Selon
que nous soyons ceci ou cela, selon que nous soyons pressés
ou non, selon que ce creux de vallon, ces arbres, ces bois, ces
rivières nous plantent un décor bien à notre convenance et
dans lequel s’inscrirait telle façon d’histoire plutôt que telle
autre.
L’angle sous lequel nous parlent les lieux n’est jamais le
même. Il s’ouvre ou se referme selon le degré de nos dispositions. Il est aigu si nous nous montrons incisifs et exigeants,
obtus si nous ne voulons entendre qu’une seule musique,
droit s’il nous faut des éléments tangibles, des preuves pour

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adhérer à une conviction, plat si nous ne trouvons rien pour
flatter l’imagination, ouvert si nous admettons tout.
Quand sur les lieux mêmes, la topographie de deux rivières qui se jettent dans les bras l’une de l’autre forme
réellement un angle, il arrive que c’est cette position avantageuse, tant du point de vue de la défense naturelle que de la
fertilité des sols, que les mots des premiers hommes installés
ici ont voulu faire savoir.
De petites Mésopotamie fleurissent incognito un peu
partout dans nos campagnes.
Paisible bourgade toute en longueur sur la route qui,
descendant vers le sud relie Biaa Podlaska à Zamo, à
quelques kilomètres à l’ouest des remous de la rivière ombrageuse et frontalière, sur la plaine polonaise qu’ombragent çà
et là des bosquets de bouleaux et de vieux chênes, Rossosz se
dit être une de ces Mésopotamie.
Elle est née tardivement, certes, à la fin du 13ème siècle,
mais trop tôt quand même pour que son nom soit directement
lisible. Il faut pour cela ouvrir les grimoires de la vieille
langue et trouver Rossosz, « endroit situé à la bifurcation de
deux rivières.»

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Certains mots polonais sont ainsi faits, tellement
condensés en images qu’il nous faut une phrase entière pour
en dire l’esprit.
Rossosz est donc campée au confluent de deux petites
rivières, la Ziewa et la Muawa, et son urbanisme rectiligne
est celui qu’imposaient les lois de Magdeburg à toutes cités
prétendant au statut de Ville : une place centrale avec des
rues perpendiculaires et parallèles. Un quadrillage sans
fioritures. Du pragmatisme.
A ceux qui diraient que c’est incontestable, que la
bourgade est bien à la rencontre de deux cours d’eau mais qui
demanderaient tout de même en quoi c’est tellement important de le dire en vieux polonais, Rossosz a des choses à
répondre.
Car ce berceau chatoyant lui a donné les atouts géographiques d’une place forte et cette niche dans l’angle des
rivières en a fait le théâtre de batailles épouvantables.
Retranchée derrière ses cours d’eau disposés en pointe,
elle résiste d’abord avec force au Déluge suédois pour être
finalement complètement anéantie par les Nordiques en furie.
Ils sont depuis l’épopée des Vikings des enjambeurs de mers

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